vendredi 11 juin 2010

La semaine du grand répertoire (sauf à la fin)

Après tout, pourquoi pas, une fois de temps en temps ? Les hasards de mes déplacements ont voulu que je me trouve en Bavière avec un programme lyrique pas vraiment conforme à mes habitudes. Jugez-en plutôt : Carmen, Lucia di Lammermoor, Nabucco, L'Enlèvement au sérail. Il s'agit certes d'œuvres que j'aime (point de Puccini là-dedans, et un Verdi de jeunesse dont la rigueur formelle n'est pas pour me déplaire), mais tout de même, une dose aussi concentrée de grand répertoire est bien inhabituelle pour moi.
Les soirs, il est vrai, se suivent et ne se ressemblent pas. On n'ose plus disqualifier un spectacle en le traitant de provincial (surtout quand l'Opéra de Paris... mais j'en parlerai une autre fois) : dans le cas du Nabucco de Nuremberg, l'envie m'en démange pourtant furieusement. La seule idée de mise en scène est de situer l'œuvre dans l'univers noir et blanc des films muets, comme pour obliger le spectateur à n'y voir qu'un péplum grandiloquent, et que dire des chanteurs (notamment l'Abigaille impossible de Gabriella Morigi), de l'orchestre, du chœur ? Pourtant, le lendemain, le passage de la seconde ville de Bavière à la troisième montre que l'infrastructure typiquement allemande du théâtre municipal disposant d'une troupe permanente n'est pas condamnée à cette caricature de provincialisme bouvardetpéchuchetique.
Sans doute les chanteurs qui affrontaient ce soir-là à Augsbourg les difficultés de Lucia di Lammermoor seraient-ils déplacés sur une grande scène internationale ; dans le cadre intime de cette scène de taille moyenne, dans une production simple et efficace, ils donnent au spectateur plus de plaisir qu'une distribution plus prestigieuse sur bien des grandes scènes internationales. Vaut-il mieux voir cet opéra à Augsbourg avec cette distribution inconnue mais consciencieuse et volontaire ou dans une grande capitale avec les mêmes vieux routiers du circuit international ? Quand se pose la question financière, la réponse est simple : mieux vaut aller à Augsbourg ou équivalents et avoir les chanteurs littéralement sous son nez plutôt que de se percher en haut de l'amphithéâtre du Royal Opera.

Il y a tout de même une chose que les grandes maisons seules peuvent fournir, et c'est le mérite - mais le seul - de la Carmen donnée en ce moment par l'Opéra de Munich : Elina Garanca, Jonas Kaufmann. Oh, bien sûr, rien n'est jamais assuré, et si la mise en scène intéressante de Martin Duncan* n'avait pas été la motivation première de ma venue, il y aurait eu de quoi être franchement agacé par L'enlèvement au Sérail musicalement indigne proposé quelques jours plus tôt par la même maison (l'Osmin sans voix de Peter Rose et la direction molle, lente et laide de Johannes Debus sont tout particulièrement à recommander). Et la mise en scène de cette Carmen, qui date de 1992 et n'a sans doute jamais été bonne, est devenu d'une pauvreté insigne (les mouvements du chœur au début de l'acte IV franchissaient ainsi allègrement les limites de l'amateurisme), sans parler de dialogues massacrés. Mais voilà, il y avait ce couple extraordinaire, qui suffit à rendre la représentation passionnante.
Carton-pâte authentique : Carmen à l'Opéra de Bavière
 Non, ce n'est pas le mot : pas passionnante. Il y manque à vrai dire beaucoup : l'absence de mise en scène a tendance à réduire Carmen à ce qu'elle n'est pas, une série de tubes certes efficace, mais sans cohérence, d'autant que le chef - Karel Mark Chichon, Monsieur Garanca -, avec tout son dynamisme et son excellente maîtrise de l'orchestre maison, ne peut guère rivaliser avec la direction de Marc Minkowski au Châtelet il y a quelques années en matière de maîtrise de la grande forme.
Donc, pas passionnante, mais gratifiante : rarement on aura eu en Don José un ténor aussi ennemi de l'effet, aussi soucieux de n'utiliser que la partition, rien que la partition pour émouvoir le spectateur, aussi déchiré entre force et faiblesse. Rarement Carmen aura autant renoncé à la sauvagerie de la gitane pour accepter de faire de Carmen ce qu'elle est avant tout : un mystère plus qu'une conquérante.
On était venu pour une fête du chant, on l'a eue (Micaëla était chantée par Genia Kühmeier, comme au Châtelet, et ça ne gâche vraiment rien). Mais surtout, on a eu une fête de l'intelligence, et une fête de la musicalité. Quand on défend comme je le fais l'importance d'une mise en scène ambitieuse à l'opéra, on s'entend souvent reprocher de négliger le chant (alpha et oméga du lyricomane de base) : point du tout, quand il est vraiment mis au service de la musique et d'un théâtre intérieur à défaut d'être présent sur la scène. Il y a tout un monde dans le chant : quel dommage alors de le limiter aux charmes primaires d'une jolie voix...

Ah oui, pour finir : le lendemain, Medea in Corinto de Giovanni Simone Mayr dans la même maison. Une partition absolument nulle, dont l'absence au répertoire est amplement justifiée. Oui, parce que vous savez, l'opéra, c'est les chanteurs, soit ; mais c'est quand même, avant tout, l'œuvre d'un compositeur. Malheur à qui l'oublie.

*Lequel Martin Duncan, on le rappelle, travaillera en France la saison prochaine, avec Les fiançailles au couvent de Prokofiev, à Toulouse et à l'Opéra-Comique.

PS : Le programme de la Comédie-Française pour la prochaine saison vient de paraître (à télécharger ici en PDF). La vie culturelle parisienne se réduirait-elle à Jérôme Deschamps et Laurent Pelly, Pelly et Deschamps, Deschamps et Pelly ?

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