lundi 31 mai 2010

Quand l'orchestre de Paris maltraite Pierre Boulez

L'article de Renaud Machart dans Le Monde a beau être comme toujours mal écrit, mal structuré, peu pensé et malveillant, il faut bien reconnaître que ce qu'il dit n'est pas faux : l'organisation des deux concerts organisés jeudi et vendredi derniers en hommage à Pierre Boulez pour son 85e anniversaire était consternante. Deux très longs concerts, ponctués par des changements de plateau interminables et pourtant prévisibles, avec des œuvres évidemment incompatibles avec les vastes espaces de la Salle Pleyel (comment peut-on ainsi gâcher les Quatre pièces pour clarinette et piano de Berg ?), et à la fin du premier concert le pire imaginable : une espèce d'hommage parfaitement idiot rendu par les musiciens de l'orchestre à Boulez, hommage qui n'a pas plus amusé Boulez que le public, d'autant plus qu'il était parsemé de bassesses qui ne renvoyaient qu'à une caricature de Boulez du niveau de celles qu'on rencontre couramment chez les mélomanes les plus butés.

Rendons à César... : le responsable de cette pitoyable mascarade, illustrée par de la sous-musique que personne, mais vraiment personne n'était venu entendre (musique de bal musette, musique de sous-préfecture, musique d'orphéon...), était le violoncelliste Eric Picard. Drôle d'idée, tout de même, de rendre hommage à quelqu'un en ironisant sur ce qui était l'essentiel de son combat. Mais quand on voit quelle est la prochaine création de l'Orchestre de Paris (une oeuvre de Bechara El-Khoury, un de ces compositeurs qui composent de la musique désespérément plate en espérant - en vain - parler au grand public...), on se dit que le gâchis était plus que prévisible.

Reste que, entre les changements de plateau et les entractes, on a parfois joué aussi un peu de musique. Le programme du premier soir a particulièrement pâti de ces conditions désastreuses. On y aura au moins entendu, en première partie, un extrait de la Musique pour corde et alii de Bartok dans une interprétation étonnamment lente, pleine d'aspérités (on aurait aimé avoir la totalité !), et Octandre de Varèse par l'Intercontemporain, qui jouait le rôle de Cendrillon maltraitée dans ces conditions. On y a donc aussi entendu de la musique de chambre, mais dans des conditions à peu près aussi favorables que si on l'avait jouée aux Galeries Lafayette un jour d'ouverture des soldes : navrant. La deuxième partie (avant le pensum d'Eric Picard), elle, enchaînait maladroitement des pièces inadaptées, le pire étant l'extrait du Sacre du Printemps : dans une pièce d'une telle intensité, comment peut-on entrer ainsi au beau milieu de la seconde partie ? Tout ça pour entendre la version orchestrale d'Une barque sur l'océan de Ravel, piécette sans intérêt qui ne rend pas hommage à la justesse des choix d'inspiration de Boulez, ou les appels de cor de Des canyons aux étoiles de Messiaen, déplacés en une telle soirée et d'une qualité musicale franchement insuffisante (déboulonnons Messiaen...).

Le second concert était le paradis des changements de plateau, avec deux de ces moments de vide absolu par partie, comme si l'honorable spectateur et M. Boulez lui-même n'avaient que cela à faire. On y a certes entendu de la fort belle musique - le concerto de chambre de Ligeti, Stele de Kurtag, ça ne se refuse pas -, mais comme on aurait aimé avoir autre chose que des tronçons sans signification, alors qu'il aurait suffi de ne pas jouer la pièce finale (le pompeux Concertate il suono de Marc-André Dalbavie, compositeur associé à l'orchestre de Paris depuis des lustres et seul à avoir droit à une œuvre aussi longue dans ce panorama, on se demande bien pourquoi) pour pouvoir jouer en échange l'intégralité des quelques chefs-d'oeuvre mutilés...

Au moins ce méli-mélo mal conçu nous aura-t-il rappelé que, décidément, l'Orchestre de Paris n'est pas le meilleur orchestre du monde...

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