mardi 16 février 2010

Christophe Girard ou la culture toc décomplexée

J'ai lu récemment dans l'hebdomadaire télé plus ou moins culturel et plus ou moins de gauche* Télérama un portrait très bien fait, et très révélateur, de l'adjoint à la Culture du maire de Paris, Christophe Girard, que ce dernier met complaisamment en ligne sur son site. Ce dernier est un peu comme Pierre Bergé et Jérôme Savary une sorte d'erreur de casting de la gauche culturelle ; le credo qu'on sent dans les propos rapportés ici comme ailleurs est bien éloigné de toute forme de démocratisation culturelle, sans même parler du nécessaire élitisme pour tous : "Moi, je suis moderne ; vous, vous êtes des ploucs". Portrait d'un grand bourgeois futile, cadre très supérieur dans le commerce international, d'une mondanité exacerbée, avec aussi un petit côté "La terre ne ment pas" qui est bien parisien.
Le désastre culturel dont il est le porte-drapeau est composé d'une accumulation de paillettes (la fameuse Nuit blanche, dite "Moi et mes copains"), d'un populisme sans complexes (la transformation du Châtelet en une espèce de sous-Broadway, ce qui consiste du point de vue du public à remplacer le public intello-bourgeois des ères précédentes par un public bourgeois-inculte, ce qui est tellement mieux), d'un manque de recul par rapport à la production artistique du moment qui est total.
C'est bien le problème de la place de l'art contemporain dans cette politique culturelle qui est posée par l'attitude du personnage : autant je ne me fatigue guère à répondre à ceux pour qui l'art contemporain est le mal (en musique comme ailleurs), autant l'exaltation de l'art contemporain associée à la condescendance envers le reste de la production artistique - sur le ton "Oui, Rembrandt c'est super, mais c'est bon, on connaît" - est une forme suprême d'inculture**.
Théâtre Châtelet Opéra colonne
Le cas du Châtelet, ce honteux hold-up qui n'a d'autres justifications que de satisfaire le goût du nouveau maître des lieux (alors qu'on pouvait difficilement accuser Jacques Chirac d'avoir soutenu la création musicale contemporaine par goût personnel), peut paraître surprenant, parce qu'il est au contraire une profession de foi passéiste : mais d'une part c'est au fond la même inculture qui est à l'œuvre (sous forme du refus de la hiérarchisation culturelle, qui fait que Véronique ou La mélodie du bonheur valent autant sinon mieux que Le Grand Macabre ou Les Bassarides), d'autre part c'est sans doute un reflet du vieux mépris français pour la musique : Christophe Girard semble ici reprendre la célèbre phrase de Malraux sur la politique musicale : "On ne m'a pas attendu pour ne rien faire"... Pendant ce temps, les autres théâtres municipaux (trop nombreux pour la maigre pitance qui leur est distribuée, trop mal financés pour pouvoir prétendre prendre une véritable place dans le paysage culturel parisien) vivotent, parce que personne n'a le courage ni de les soutenir réellement, ni de supprimer l'un ou l'autre : le conservatisme structurel, ici, paraît le meilleur garant de la paix civile dans le monde culturel parisien, et on le voit aussi avec le saupoudrage des subventions pour les orchestres, qui laissent notamment surnager sans aucune utilité l'insauvable Ensemble orchestral de Paris...

On me dira peut-être que cet article est bien parisien, pour les Parisiens : mais les recettes et les maux qu'on trouve ici sont loin de n'être que parisiens, et je vois bien des situations locales un peu partout qui, avec moins de bruit, témoignent des mêmes tendances...

Photo : une des - trop - célèbres colonnes du Théâtre du Châtelet.

*Dans les deux cas plutôt moins que plus.
 **On se demande pourquoi les musées d'art ancien sont tellement soumis à une pression pour "faire dialoguer" leurs œuvres avec l'art contemporain quand les musées d'art contemporain - au budget si supérieur -se passent sans que ça ne choque personne d'exposer des œuvres d'art ancien en dialogue avec les leurs. Et ce même quand l'artiste auquel ils consacrent une exposition revendique haut et fort ses filiations. (mais c'est une autre histoire).
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