lundi 1 février 2010

La Cenerentola sur le trottoir

Quel trottoir ? Mais celui de l'Avenue Montaigne, bien sûr, qui reprend pour la énième fois la Cenerentola de Rossini mise en scène par Irina Brook, l'Avenue Montaigne, ce paradis du fric et de la vulgarité, qui constitue un écrin parfait pour cette production.

Je n'y allais pas à l'aveugle, certes, et j'avais un souvenir certes pas enthousiaste, mais du moins satisfaisant de cette production d'un de mes opéras préférés, étrange parabole moderne où la mécanique rossinienne trouve des résonnances d'une rare humanité. Et puis la distribution était plus que prometteuse (et les promesses, à vrai dire, sont largement tenues, mais il y a des cas où ça ne suffit pas).

C'est sans doute en punition du message précédent de ce blog, en honneur du Regietheater, que le Ciel m'a inspiré l'idée inconsciente de retourner voir ce spectacle (le Ciel est comme ça : c'est toujours avec ce qu'on aime le plus qu'Il nous fait le plus souffrir). J'ai d'abord retrouvé avec plaisir le décor initial, ce bar délicatement décati, étriqué et sans charme ; mais très vite, la vulgarité de la mise en scène, cette pente glissante du gag premier degré, l'emporte sans partage.

Brecht écrit dans son Journal de travail (lecture passionnante) qu'on est forcément influencé, en bien ou en mal, par les réactions du public autour de soi quand on est au spectacle (il le dit mieux, évidemment). Peut-être en effet les réactions du public du TCE ont-elles fortement accru mon agacement, tant le moindre geste semblait déclencher l'hilarité bruyante d'une bonne partie de la salle. C'est un fait étonnant mais pas vraiment nouveau : rien ne met en joie les élites (financières) de la nation autant que le pipi-caca et les portes qui claquent.

Opéra Palais Garnier

La production s'est-elle dégradée, peut-être du fait d'un sous-assistant ayant fait du zèle ? Ou est-ce notre regard, affiné par quelques années de fréquentation addictive de productions plus consistantes théâtralement, qui a changé ? Je ne sais. Toujours est-il qu'à force d'entendre réagir le public comme à une pièce de boulevard, je me suis aperçu qu'au fond, c'était bien ça : le décor du palais du prince, au fond, c'est un parfait décor, cheap et théâtralement nul, de théâtre de boulevard. On est dans le privé, Avenue Montaigne : on applique donc les recettes du théâtre privé en montant un parfait boulevard qui, s'il ne s'embarrassait inutilement de la musique de Rossini (encore un étranger), passerait fort bien en prime time sur TF1.

Tout cela m'inspire deux conclusions : d'une part, qu'il est vraiment temps que Dominique Meyer, le patron de la maison, aille conquérir le cœur des Viennois*, parce que sa programmation lyrique touche le fond avec une certaine constance (on se souvient, en début de saison, du consternant spectacle Weill mis en scène par la Jean Sarkozy du monde lyrique, Mlle Juliette Deschamps) ; d'autre part, que décidément rien ne vaut une bonne rasade de Regietheater. Revenons à nos moutons...

EDIT : J'ai oublié de mentionner la prestation calamiteuse de l'orchestre et de son chef : sous la baguette d'Evelino Pidò lors des séries précédentes, ce n'était déjà pas fameux, mais on a eu ici un festival de timbres aigres, de mollesse rythmique, de cors qui déraillent...

ROSSINI
LA CENERENTOLA

Michael Güttler, direction
Irina Brook, mise en scène
Noëlle Ginefri, décors
Sylvie Martin-Hyszka, costumes
Cécile Bon, chorégraphie

Antonino Siragusa, Don Ramiro
Stéphane Degout, Dandini
Pietro Spagnoli, Don Magnifico
Carla Di Censo, Clorinda
Nidia Palacios, Tisbe
Vivica Genaux, Angelina
Ildebrando D'Arcangelo, Alidoro

Concerto Köln
Choeur du Théâtre des Champs-Élysées

* Pour ceux qui l'ignorent ou se moquent de ces détails, M. Meyer a été à la surprise générale choisi pour présider aux destinées de l'Opéra de Vienne à partir de 2010.
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