vendredi 19 septembre 2008

Les deux maladies du mélomane

Chacun, cela va de soi, fait comme il l'entend (enfin, pas tant que ça : le fait que je sois obligé de l'écrire laisse assez voir à quel point l'expression d'une opinion, d'un avis, d'une critique quelconques est aussitôt perçue aujourd'hui, comme une intolérable atteinte à la liberté d'autrui, comme si elle était un danger pour qui lit - passons, si nous ne voulons pas vivre dans le monde de Oui-Oui).
Il y a, je crois, deux maladies qui menacent les mélomanes, ceux d'aujourd'hui sans doute ni plus ni moins que ceux d'hier, du reste. La première se nomme audiophilie : elle se manifeste par une compulsion frénétique à l'achat de systèmes audio de plus en plus coûteux, dans lesquels il est capital qu'un certain type de câbles soit raccordé par un certain type de fiches à des appareils distingués par des supériorités souvent byzantines. C'est, avouons-le, une maladie de riche : 10 000 € est une modeste somme pour prétendre goûter aux charmes de la musique enregistrée. Cette maladie est régulièrement nourrie par la complaisance de quelques revues spécialisées (sans aller jusqu'aux grands spécialistes, le magazine Diapason est un bon observatoire pour s'initier à l'ivresse des sommets en matière de prix), mais aussi par la fabrication récente de nouveaux supports, destinés à remplacer le paraît-il inacceptable CD - c'est le SACD, dont l'échec commercial semble désormais patent - et, déjà, le DVD - c'est le Blue Ray, mieux parti semble-t-il ; même si le développement du mp3 (dont la qualité sonore me suffit parfaitement) et des supports portables me rend sceptique sur le long terme. Le fait que cette course à l'équipement ne semble pas cesser malgré l'effondrement du marché du CD et l'essoufflement de celui du DVD semble confirmer que l'amour de la musique n'y est qu'un prétexte - de même que les amateurs d'automobile ne sont jamais en peine pour justifier l'achat d'une grosse cylindrée polluante et rutilante...
Londres\DSCF2551
La seconde maladie, qui n'est pas incompatible, est la versionnite. Elle consiste à accumuler sans fin toutes les versions possibles de Tosca, des concertos pour piano de Beethoven, ou - variante intéressante - l'intégralité des enregistrements réalisés par tel ou tel grand pianiste le son radio crachotant de certains enregistrements anciens ne dispense aucunement de l'utilisation d'un ensemble hifi haut de gamme). Une fois plongé dans ce monde fascinant, on peut se livrer au jeu fascinant de la comparaison : où il apparaît que, dans le second mouvement (de ce que vous voulez), Karajan met presque trente secondes de moins le 19 mai (de l'année de votre choix) avec Berlin que le 23 septembre avec Vienne. Parfaitement. Il va sans dire que la première version est au bord du grotesque, la seconde sublime, ou l'inverse. Dans ce petit jeu, l'œuvre se perd : c'est l'interprétation qui compte, l'œuvre étant conçue comme acquise, connue, digérée - quand tout le plaisir de la musique tient dans la redécouverte permanente d'œuvres qu'on a tout à gagner à considérer comme inconnues (ce n'est pas de la culture, cette attitude, ce n'est que du savoir).

Ces deux maladies ont une même conséquence, et un même remède. La conséquence, c'est que le concert ou l'opéra, pour ces personnes, devient un supplice, parce qu'aucune salle ne saura reproduire l'acoustique parfaite de leur installation (ou supposée parfaite : il n'y a pas une bonne acoustique, mais des multitudes de possibles entre lesquelles on aurait tort de vouloir choisir définitivement), aucun interprète ne saura égaler les décennies de tradition discographique que le "connaisseur" maîtrise. Le remède, lui, est simple : sortez de chez vous, oubliez votre érudition stérile, ouvrez vos oreilles et votre culture, vous verrez que la musique vivante, c'est encore plus passionnant que la hifi et que les disques !

Photo : Opéra Bastille (l'une de ces salles dont certains décrient l'acoustique : si certaines places (notamment en 1ère catégorie) sont en effet médiocres, il y a de nombreuses places où on entend très bien, il suffit d'avoir un esprit explorateur...).
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