jeudi 8 mars 2007

Salles (2): Munich, Nationaltheater

Institution
Munich, Bayerische Staatsoper (Opéra National de Bavière)
Utilise aussi le Prinzregentheater loué quelques semaines par an.

Description matérielle
Théâtre à l'italienne de 2101 places, avec un parterre et 5 étages de balcon. Il existe une Mittelloge, ex-loge royale, et quelques loges d'avant-scène; le reste est donc construit sans loges, et le Nationaltheater est ainsi le plus ancien théâtre d'opéra construit de cette façon.
Depuis sa construction vers 1820, la salle a été reconstruite deux fois, une première fois après un incendie, la seconde après les bombardements de 1943. Cette dernière reconstruction n'a été entreprise qu'après une décennie d'hésitations, si bien que le bâtiment n'a rouvert qu'en 1963.
A cette occasion, le théâtre a été pourvu d'une machinerie ultramoderne, qui comme il se doit ne marchait pas (ah bon, ça vous fait penser à Bastille ?); après plusieurs années de travaux, les choses sont rentrées dans l'ordre. Pour un Parisien, une chose marquante est l'escamotage total des projecteurs, habilement dissimulés.

Programmation
Opéra, danse (Ballet National de Bavière, classique et contemporain), concerts symphoniques
Environ une quarantaine de spectacles différents chaque année, dont 5 ou 6 nouvelles productions; mélange de productions très contemporaines et de vieux classiques parfois à bout de souffle (moins d'1/4 des productions), avec en tout environ 350 représentations par an (dont 1/5 de ballets).
Constitue donc l'exemple idéal d'une maison de répertoire, qui montre qu'un système de production industriel n'est pas contradictoire avec une haute qualité.

Placement
Théâtre à l'italienne, donc évidemment visibilité moyenne à basse sur les côtés; les balcons sont suffisamment peu profonds pour qu'il n'y ait pas de problèmes acoustiques en fond de balcon.
Places debout: les meilleures sont au 2. Rang centre, et sont vraiment très bonnes; ensuite on finit évidemment avec des choses où on ne voit vraiment rien!
Enfin, attention aux places latérales au parterre: devant, on perd une partie de la scène; derrière, on perd les sous-titres!

Laissez les morts dormir en paix

Gerard Mortier, en montant La Juive de Halévy à l'Opéra Bastille, voulait sans doute entamer la résurrection d'un répertoire oublié. Hélas, dans le cas présent, c'est plutôt d'une violation de sépulture qu'il s'agit.
Non que l'équipe artistique se soit montrée indigne: on regrettera la direction d'acteurs inexistante et le manque de point de vue de Pierre Audi, mais on saluera la beauté du décor qui doit certainement renvoyer aussi à l'époque de la création de l'oeuvre; la distribution, si l'on oublie le cas problématique du rôle d'Eléazar (un Chris Merritt malade valant bien cent Neil Shicoff en bonne santé), tient bien son rang, de la froide virtuosité d'Annick Massis à l'efficacité discrète d'Anna Caterina Antonacci.
Le problème, évidemment, c'est l'oeuvre: gros succès au XIXe siècle, elle a fini par tomber dans un oubli que quelques tentatives discographiques inabouties n'ont guère atténuées. Créée en 1835, elle n'aura eu besoin que d'une cinquantaine d'années pour atteindre sa 500e représentation à l'Opéra; mais dès ce 1er décembre 1886, son déclin est largement amorcé, puisqu'il faudra attendre encore près de 50 ans pour atteindre sa 562e et dernière représentation, en 1934.
On se demande bien pourquoi une oeuvre si médiocre a pu ainsi tenir longtemps le haut de l'affiche - d'un certain côté, c'est là le seul intérêt de cette reprise.
Fondé sur un argument historique assez fortement fantaisiste, le livret est d'une pauvreté littéraire et dramatique confondante et exhale une forte odeur d'antisémitisme, bien loin de l'hymne à la tolérance que Mortier veut y voir à toute force*. Musicalement, c'est le degré zéro de la réflexion sur les structures du spectacle dramatique, et l'invention mélodique se limite à quelques ritournelles faciles qu'on peut continuer à chantonner longtemps après.
La question qui se pose ici est de savoir pourquoi ce spectacle, avec sa médiocrité scénique et musicale, a eu encore cette fois un certain succès (malgré les nombreuses places vides dans la dernière partie...) auprès du public. Quelques pistes:
-l'inculture d'une bonne partie des lyricomanes, qui connaissent tout sur l'opéra ou plus précisément sur les chanteurs mais ignorent tout des autres arts (à commencer par le théâtre) et peuvent donc facilement prendre des vessies pour des lanternes (je pourrais citer d'autres compositeurs);
-L'attitude consumériste du public, qui mange ce qu'on lui apporte sans se poser de questions, l'Opéra devenant une sorte de TF1 pour riches (pourquoi aller voir sur les autres chaînes?); les abonnements tradition, qui se renouvellent tout seuls, n'étant pas là pour améliorer la situation);
-L'efficacité du marketing à la Mortier: bien sûr, 95% du public n'avait jamais entendu une seule note de cet opéra (non, pas même Rachel quand du seigneur) et n'avait aucune raison de se précipiter au seul nom de cet opéra; ce qui est frappant, c'est que ce marketing marche aussi très bien sur les lyricomanes qui n'ont de cesse de honnir ledit Mortier: l'arroseur arrosé en quelque sorte!

* Eléazar dit ainsi (acte II): Je tremblais que cette femme/ ne surprit tous mes secrets/ et je maudissais dans l'âme/ tous ces chrétiens que je hais/ Mais pour moi plaisir extrême/ Et quel heureux avenir,/ Ces bons écus d'or que j'aime/ Chez moi vont donc revenir!
On remarquera la richesse de la versification, mais surtout les stéréotypes typiques de l'époque. Quant à la noble et douce Rachel, tout son personnage s'explique par le fait qu'elle est en réalité chrétienne de naissance: c'est pour cela que contrairement à Eléazar elle se laisse émouvoir par Brogni (son vrai père) dans l'acte I, c'est pour cela qu'elle court ainsi au sacrifice à la fin...


Pour finir, quelques mots sur le DVD de La Juive sorti il y a quelques années chez Deutsche Grammophon:
La production montée par Günter Krämer à l'Opéra de Vienne avait été un moment important de la timide carrière moderne de cet opéra, dont on espère une fin rapide. Un enregistrement sonore avait été publié (chez Sony, je crois); en voici maintenant une trace vidéographique.
Hélas, cette captation a été réalisée en une seule prise lors d'une reprise, avec des interprètes en partie différents. Cela nous vaut un nombre de maladresses de réalisation étonnant, les plus belles étant la quinte de toux d'une choriste asiatique et une image montrant un des retours vidéo... Plus gênant, la reprise a visiblement été précédée d'un nombre de répétitions insuffisant (cf. ce que je disais sur la reprise du Don Giovanni de l'ONP...), si bien que certains interprètes semblent mal à l'aise: c'est le cas du caverneux Walter Fink (Brogni), qui ne sait pas son texte, ou de Krassimira Stoyanova (Rachel), qui chante convenablement mais n'a qu'une idée assez vague de ce qu'on attend d'elle du point de vue scénique. Ce ne serait pas si grave si ce n'était le cas général des reprises à Vienne!
L'autre problème, d'une toute autre nature, est celui de Neil Shicoff, qui a fait du rôle d'Eléazar une sorte de cause sacrée qu'il défend dans le monde entier. Il le défend, certes, mais le chante-t-il? Est-ce encore chanter un rôle que de renier ainsi la prosodie, le rythme, la justesse, la diction? On ne comprend rien, et la musique elle-même n'est pas respectée.
C'est cette faiblesse-là, jointe à une direction anonyme, qui disqualifie ce DVD dont le seul intérêt est de donner une connaissance de base de l'oeuvre. Et, sans doute, de s'épargner ainsi les 4 trop longues heures du spectacle de Bastille.
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