lundi 13 octobre 2014

Castor, Alphise et les autres – Paris fête Rameau

Il se trouve que mes pas m’ont conduit un peu plus intensément que d’habitude, ces jours-ci, à Paris (et banlieue, comme on va le voir), ce qui m’a permis de profiter non pas tant des cérémonies autour de l’anniversaire de Rameau (ça, les cérémonies, vous savez…) que des concerts où, enfin, on peut entendre sans avoir à patienter cent ans une partie non négligeable de son œuvre. Le meilleur concert n’aura certes pas été celui de grands motets par William Christie, dont la raideur qui se veut aristocratique devient décidément pesante (ça n’a pas toujours été le cas, et les disques de grands motets de Rameau et de Mondonville qu’il a publié il y a déjà assez longtemps n’avaient pas cette pesanteur). Enfin, j’en ai fait une critique sur Resmusica, je ne vais pas m’appesantir.
Autre concert-disque, celui donné ce samedi par Sandrine Piau à Versailles – pas au château, mais au Théâtre Montansier. Il y avait une bonne raison de râler, c’est que la salle était plus qu’à moitié vide, entre autres parce qu’un autre concert ramiste avait lieu en même temps à 300 m de là dans la chapelle royale (le requiem bricolé à partir de la musique de Castor). Et puis le concert était un peu court, tout de même. Mais voilà : il faut le redire, Sandrine Piau est un miracle. Intelligence, musicalité, virtuosité, sens du style, diction, avec une voix désormais plus corsée mais pas alourdie : voilà une grande artiste au sommet de ses moyens, dans un répertoire qui lui va comme un gant, dommage que tout le monde n’y coure pas (ça vaut cent fois mieux que toutes vos Bartoli ou Netrebko, ces froids produits du marketing). J’espère au moins que son prochain récital parisien (Haendel et al. au TCE, le 13 avril) trouvera un public plus conforme à son talent.
Je ne sais pas si un disque sortira des Boréades données en tournée par les Musiciens du Louvre, que j’ai vues à Versailles quelques jours plus tôt, mais ce serait souhaitable, tant le seul enregistrement CD a vieilli (surtout la direction de Gardiner, moins les interprétations visionnaires de Jennifer Smith et Philip Langridge). Les chanteurs n’ont pas démérité (j’aime bien le timbre de Julie Fuchs, moins ses vocalises pas très précises), mais c’est vraiment Marc Minkowski et son orchestre qui font l’événement : Les Boréades, évidemment, c’est une musique incroyable qui exige la perfection, mais on ne devait vraiment pas en être loin ce jour-là. Cette fusion extraordinaire des vents dans l’orchestre, cette capacité à varier de danse en danse et de reprise en reprise l’atmosphère et les couleurs… Dommage que Minkowski perde trop de temps dans le répertoire du xixe, pour des œuvres souvent de peu d’importance : il est tellement fait pour ce répertoire-là. Oui, vraiment, espérons un disque.
Castor, évidemment, c’est autre chose, parce que c’est enfin une production scénique et que la première n’a lieu que ce soir (au Théâtre des Champs-Élysées, donc, jusqu’au 21 – coproduction avec Saint-Étienne). Devant une fois de temps en temps rentrer chez moi, je n’ai pu assister qu’à la répétition générale, ce qui veut dire que je ne commenterai pas les prestations des chanteurs (je peux au moins vous assurer que vous auriez bien tort de vous attendre au pire !). Pour l’orchestre, par contre, aucune précaution oratoire : la notoriété d’Hervé Niquet n’a pas bénéficié de l’aide considérable que leurs carrières discographiques chez de grands éditeurs ont assuré à Rousset, Christie ou Minkowski, mais il ne leur est en rien inférieur – et vraiment, voilà une bonne raison d’aimer la musique : il serait bien idiot de tenter de donner la médaille d’or du meilleur ramiste à l’un ou à l’autre, nous n’avons qu’à nous réjouir d’entendre tous ces merveilleux orchestres qui se complètent à merveille. Je n’avais jamais vu Niquet diriger une production scénique, je crois, et j’en déduis que nous avons là un vrai, beau chef de théâtre, dont les options sont peut-être moins souvent extrêmes que celles de Minkowski, mais qui soutient tout aussi admirablement le chant et l’élan dramatique de la musique. On n’aurait qu’à lui reprocher les coupures qu’a subi la partition, pour un spectacle qui dure moins de 2 h 30 (je sais bien que la version de 1754 est nettement plus courte que celle de 1737, mais je ne crois vraiment pas qu’il y ait moins de 2 h de musique !).

Production scénique, donc : c’est Christian Schiaretti qui s’en charge, et il choisit de faire de la tragédie de Rameau comme un pastiche de ce qu’aurait pu faire un metteur en scène (ou du moins un décorateur et son costumier) qui aurait mis en scène cette œuvre à l’époque de la construction du TCE : des tuniques à la grecque, une Grèce idéalisée, aux formes pures qui reproduisent en partie l’architecture du théâtre. Ce n’est pas forcément la perspective qui me parle le plus (comme j’aimerais qu’un Warlikowski s’y mette ! Les Boréades, tiens !), et il y avait un manque de précision dans les gestes et les regards dont j’espère qu’il sera résolu pour ce soir. Mais tout de même, quand tant de mises en scène de ces dernières années se contentent de vaguement disposer les chanteurs au milieu d’un « beau » décor, on ne peut quand même pas nier qu’il y a un travail et une cohérence qui sont au service de l’œuvre, quitte à jouer par moments de l’étrangeté de cette musique et de cette dramaturgie (il va de soi que certains costumes militaires ont une dimension parodique, qui introduit une distance sans pour autant détruire : voyez comme cela est étranger, mais voyez comme cela nous touche). Schiaretti semble vouloir opposer au collectif la douleur et les angoisses des individus – voyez Télaïre après la mort de Castor, le passage de la lumière aux ténèbres (« Pâles flambeaux ») est je trouve vraiment poignant. Cette gestuelle stylisée - très loin du hiératisme conceptuel de Wilson, que j'estime de moins en moins ! - met à distance, sans doute, mais elle est en cela le miroir de l’œuvre de Rameau, cette sophistication, cette artificialité de la tragédie lyrique qui s'oppose aux moments d'humanité et aux joyaux musicaux qu'elle abrite.
Vraiment, chers mélomanes parisiens, ne manquez pas cette musique sublime, dans une production qui ne heurtera pas les traditionnalistes sans qu’on puisse pourtant dire qu’elle manque de théâtre : il reste des places, ne vous en privez pas. Pour les autres, je ne sais plus où ce sera retransmis, mais une captation diffusée sur Internet est prévue…

jeudi 18 septembre 2014

Bayreuth dernière

Il y a presque un an, j'avais fait part de mes doutes à propos de Bayreuth au moment même où je venais d'acheter mes places  ; il y a un mois, le "grand jour" est arrivé, celui où je rentrais pour la première fois dans l'"enceinte sacrée" du Festspielhaus. Je suis venu, j'ai vu, je ne reviendrai plus.

mercredi 10 septembre 2014

Salzbourg 2014 (4) - Mes étoiles de concert

Un seul message pour une vingtaine de concerts, c’est peu, surtout que (comme certains peinent visiblement à le comprendre) les concerts sont pour moi la raison essentielle de ma venue à Salzbourg, à côté d’une programmation lyrique qui est de toute façon faible depuis très longtemps (et qui a atteint cette année, il faut bien dire, un degré d’inexistence artistique assez inédit, Charlotte Salomon exceptée). Et pour vous convaincre que j’ai passé cette année un excellent été salzbourgeois, je ne vais pas procéder par une (forcément laborieuse) récapitulation concert par concert, mais simplement faire la liste des principales étoiles qui ont marqué les deux semaines et demie que j’ai passé chez nos seigneurs les princes-archevêques. Il y a eu aussi des mauvais concerts, mais ne nous souvenons que des bons.

Anna Prohaska

Un nom à découvrir pour beaucoup, une évidence pour moi : je ne sais plus quand j’ai pris conscience de l’immense talent de cette chanteuse qui a fêté cette année ses 30 ans, mais ça ne date pas d’hier : déjà, en 2012, elle avait chanté trois Lieder de Mozart avec András Schiff, et j’en attendais déjà beaucoup à l’époque. Cette année comme en 2012, mes attentes étaient himalayesques ; cette année comme en 2012, elles n’ont pas été déçues. Cette fois, c’est à un récital complet que nous avons eu droit, correspondant exactement au disque publié il y a quelques semaines (et que je vous recommande chaleureusement, cela va sans dire) : un programme thématique comme elle aime en construire, de Beethoven à Wolfgang Rihm, autour de la guerre, dans ses mythes comme dans sa réalité. J’ai déjà fait une critique pour Resmusica : il n’est pas forcément indispensable que je souligne encore l’intensité exceptionnelle de l’interprétation sans affectation. La seule frustration qu’on tire de ce récital est que, si intelligent qu’en soit le programme, la qualité de ce Schubert, de ce Mahler, de ces Eisler est telle qu’on aimerait entendre par elle un récital complet consacré à Schubert, à Mahler, à Eisler (oui, car je me dis de plus en plus que l'oubli dans lequel demeure Eisler n'est pas forcément très juste, mais c'est une autre affaire).

Christian Gerhaher et Gerhold Huber

On n’entend jamais trop de Schubert, mais il faut bien dire que la frilosité des programmateurs qui ne veulent afficher en matière de Lied que les trois cycles bien connus au détriment des centaines de Lieder indépendants. Ouf, Gerhaher ose imposer un programme qui parcourt tout l’œuvre de Schubert autour des textes de Goethe. La seconde partie comporte quelques tubes, Prométhée et autres, mais la première enchaîne les raretés, presque toutes mémorables (il y a décidément moins d’œuvres faibles chez Schubert adolescent en matière de Lied qu’ailleurs !) ; quelques Rihm viennent interrompre le concert, mais il faut bien avouer qu'ils ne sont pas tout à fait du même niveau : bien écrits, intelligents, ça oui, mais tellement attendus. Cela fait quatre ans que je vois chaque été un Liederabend de Christian Gerhaher et de son éblouissant pianiste Gerhold Huber, à Munich et/ou à Salzbourg : celui-là est sans doute un des meilleurs, parce qu'avec Mahler Schubert est leur compositeur idéal. C'est sans doute banal de dire que Gerhaher est un diseur au moins autant qu'un chanteur, mais ça me paraît toujours aussi marquant : ce n'est pas un Fischer-Dieskau ou un Quasthoff qui séduisaient par la simple splendeur vocale (non que ce soit leur seul atout, bien sûr), et la pure voix de Gerhaher est d'un velours remarquable, mais le mot prime chez lui comme chez personne d'autre, quitte à chercher parfois la vérité dans une émission qui a l'immédiateté de la voix parlée. Le vrai poète, le vrai prophète, n'a pas besoin d'élever la voix pour qu'on l'écoute.

Mozarteum-Orchester Salzburg

L’orchestre du Festival de Salzbourg, pour moi, ce n’est pas l’Orchestre philharmonique de Vienne (les deux concerts que j’ai vu par eux cette année n’étaient pas mauvais, mais sans ivresse), c’est le très polyvalent orchestre du Mozarteum, qui assure depuis un demi-siècle les Mozart-Matineen du week-end, mais aussi toute sorte d’opéras et de concerts et bénéficie jusqu’en 2016 d’un partenariat exceptionnel avec son directeur musical Ivor Bolton. Cette année, je l’ai vu pas moins de cinq fois. Ce n’est pas, évidemment, avec Adam Fischer qu’il aura été à son meilleur cette année (Pereira parti, j’imagine qu’on ne reverra plus ce chef à Salzbourg), mais l’ensemble des Mozart-Matineen offre toujours une lecture de Mozart qui me réjouit, souvent spirituelle et d’un naturel irrésistible, mais aussi en quelque sorte râpeuse, terrienne, pas prosaïque mais à portée d’homme. Le Mozarteum a aussi assuré un des concerts du cycle Dalbavie, avec à la baguette Christoph Eschenbach : c’est sans doute le concert le plus inégal que j’aie entendu depuis bien longtemps. En première partie, une 21e symphonie de Haydn d’une sinistre froideur, puis un très agréable concerto pour flûte de Dalbavie (pas très profond, d’accord, mais divertissant) ; la seconde partie, elle, enchaîne un concerto pour violoncelle parfaitement assommant du même et la première symphonie de Beethoven : après le Haydn de la première partie, il y avait de quoi craindre le pire pour cette œuvre si haydnienne – mais voilà notre Eschenbach tout transformé, qui virevolte avec un orchestre qui semble retrouver le bonheur de jouer : râpeux, terrien, ça oui, mais vivant, mobile, drôle quand il faut. Drôle d’individu, cet Eschenbach !

Maurizio Pollini

Oui, bon, le programme piano de cette édition ne respire pas franchement l’originalité : pour ce qui me concerne, Kissin, Sokolov et Pollini, dans les programmes qu’ils ont joué ou vont jouer un peu partout dans le monde. Mais voilà, je n’habite pas à côté de la salle Pleyel, et Salzbourg est finalement bien pratique pour voir régulièrement ces gens-là qui méritent tout de même un peu qu’on aille les écouter de temps en temps. Pollini, évidemment, redonne là un programme que, sauf erreur, j’avais déjà entendu tel quel il y a des années à la Cité de la Musique : études de Chopin, op. 28, et Debussy, Premier Livre, ce qui ne constitue pas mon programme préféré (mon aversion pour le piano de Debussy étant aussi inexplicable que solide). Mais ce que propose Pollini est toujours précieux, parce que chaque note est toujours essentielle, parce qu’on n’oublie jamais le chemin au prétexte de la destination, parce qu’il joue pour l’humanité et pas pour les amateurs de piano. J’ai commencé à suivre les récitals salzbourgeois de Pollini seulement en 2012 (Beethoven op. 109, 110, 111 en 2012, Schumann et Chopin en 2013), je continuerais volontiers encore un bon moment s’il voulait bien continuer lui aussi.

Grigori Sokolov

C’est amusant, Sokolov est devenu le pianiste chéri du public salzbourgeois, plus encore peut-être que Pollini (mais pas au point de faire silence pendant les concerts, hélas). Le rite suivi par Sokolov n’a pourtant rien qui puisse immédiatement parler au public mondain du festival, qui peine à comprendre à quel point Sokolov n’aime pas le tapage des applaudissements (je compatis) et est bien embarrassé devant la litanie des bis qui met en péril les réservations au restaurant après le concert. Et puis ce Chopin qui était au programme de ce récital (comme les Schubert des bis d’ailleurs), ce n’est pas tout confort, et ce n’est même pas payant en termes de virtuosité. Tandis que Pollini construit, Sokolov bouscule : tout dans la partition qu’il a devant les yeux semble un problème pour lui, un obstacle qu’il faut bien prendre à bras le corps – et naturellement c’est bien ça qui est passionnant, cette exploration heurtée qui nous rappelle que notre musique dite classique est tout sauf un robinet de politesses sonores pour gens bien élevés.

Luigi Nono

Oh, je sais, cela ne se fait pas : être béat devant du zim-boum-boum par Anna Netrebko, c'est très bien, et c'est même obligatoire ; être béat devant Nono ou tout autre pièce de musique après 1945, c'est être forcément snob, élitiste, et d'un certain côté ça ne peut pas vraiment être sincère. Il paraît que Guai ai gelidi mostri dure 43 minutes, c'est l'IRCAM qui le dit; je n'en sais rien moi-même, tant j'ai été tétanisé par la beauté surhumaine de cette musique flottant dans les espaces infinis (ou presque) de la Kollegienkirche - un de ces rares cas où il faut que je me fasse violence pour applaudir tant l'émotion est forte et prolongée. Voilà le genre de concerts pour lesquels je viens à Salzbourg. Et c'était Cambreling qui dirigeait, ce qui fait toujours plaisir (vous savez, ce grand chef français que nous avons eu la chance de voir si souvent à Paris quand il y avait un opéra à Paris). Et j'ai fait une critique pour Resmusica : je ne sais pas si c'est possible de rendre par écrit cet enchantement.

Salonen et le Philharmonia

Je ne suis pas un admirateur éperdu de Salonen, mais le concert qu’il a donné avec l’orchestre londonien dont il est directeur musical m’a complètement convaincu. D’abord parce qu’il y a un programme qui a du sens : si vous voulez, le monde d’hier (Strauss, Don Quichotte, et sa narration au premier degré), la catastrophe à venir (les Trois pièces op. 6 de Berg, écrites en 1913), le bilan d’un effondrement (La Valse de Ravel). Là encore, j’ai eu le plaisir d’écrire une critique pour Resmusica (oui, les critiques s’écrivent avec plus ou moins de plaisir – pas tellement en fonction de la qualité du concert, plutôt de la difficulté qu’il y a à les écrire et de l'envie qu'on a, quand le spectacle a été bon, de rendre justice à tout ce qu'il vous a apporté) ; ce que je peux ajouter ici, c'est que fait Salonen, c'est simplement ce qui constitue la probité d'un artiste : aller chercher sa vérité sans s'encombrer des idées reçues. Un concert modèle.

La Création, Haitink et les Bavarois

C'est un mensonge : je n'étais pas à Salzbourg le 18 juillet pour La Création de Haydn par l'Orchestre et le Chœur de la Radio Bavaroise dirigés par Bernard Haitink. Non, mais j'étais le 20 dans la grande et belle basilique rococo d'Ottobeuren, pour le même concert par les mêmes interprètes. Là encore, Resmusica est là pour la vraie critique ; je dirai seulement ici qu'au-delà du plaisir déjà immense que j'ai éprouvé à retrouver cette œuvre qui ne sonne bien qu'en vrai je suis profondément heureux de cette chance que j'ai de suivre le travail de cet orchestre et de ce chœur merveilleux ; ni l'un ni l'autre ne sont parmi les plus audacieux en matière de répertoire et de création, c'est vrai, mais il faut parfois accepter de contempler la perfection de pareils diamants sans leur reprocher de briller toujours de la même façon.

vendredi 29 août 2014

Salzbourg 2014 (3) - Opéra : Il Trovatore

Enfin, Il Trovatore, LE spectacle lyrique du festival. Et LE spectacle qui entre le mieux dans ce que je disais l'autre jour du grand besoin d'un Karl Kraus pour le monde contemporain. Je n'ai pas fait absolument exprès d'y aller, mais que voulez-vous : il y avait une représentation l’après-midi, donc à un moment où il n’y a rien d’autre, je me suis amusé à demander une place, pour pouvoir me faire une idée de cette hystérie salzbourgeoise autour d’Anna Netrebko, mais sans m'attendre sérieusement à avoir une place. Il est à peine utile que je commente le spectacle, qui est passé à la télé, et les fans de Mme Netrebko ont bien su imposer la pensée unique et obligatoire (inutile de dire que j’ai pour les fans d’Anna Netrebko à peu près autant d’estime que pour les fans de One Division ou de je ne sais quel boys band à la mode : la rhétorique n'est pas d'un bien meilleur niveau). Le malheur, c’est que j’ai vu il n’y a pas si longtemps un merveilleux Trovatore, celui de l’Opéra de Munich, avec Jonas Kaufmann et Anja Harteros, dans une mise en scène formidable d’Olivier Py ; mais est-il interdit de demander à Salzbourg d’atteindre ces sommets ?

dimanche 24 août 2014

Salzbourg 2014 (2) - Opéra : Don Giovanni et Fierrabras

Don Giovanni

La très relative bonne surprise est venue de Don Giovanni : l’équipe Sven-Eric Bechtolf (mise en scène)/Christoph Eschenbach (direction) ne m’inspirait aucune confiance, mais il n’y avait vraiment rien d’autre ce soir-là, et ma foi, mon attachement pour le Festival fait que j’aime bien savoir ce qui s’y passe, fût-ce parfois au prix d’une soirée pénible. Sur la production de Bechtolf, la seule chose positive que je peux dire est que c’est toujours mieux que son insupportable Ariane à Naxos dans ce même lieu (qui existe désormais en DVD, quel bonheur) : c’est très ennuyeux, il n’y a aucune idée, mais au moins, justement, il n’y a aucune idée, ce qui est mieux avec lui que quand il y en a. Tout se passe dans un hall d’hôtel, comme dans la production de Keith Warner que j’avais vue au Theater an der Wien il y a longtemps et qui datait d’il y a encore plus longtemps. Soit.

La distribution, elle, n’est naturellement pas du niveau que j’attends à Salzbourg ; le mieux, c’est D’Arcangelo et Pisaroni, qui ont de toute façon chanté leurs rôles sur toutes les scènes du monde ; il n’y a en revanche pas grand-chose à sauver des autres, de ceux qu’on aurait voulu nous faire « découvrir » : Lenneke Ruiten en Donna Anna manque de couleur et de poids, mais elle a l’excuse qu’Eschenbach semble ne pas du tout s’intéresser à son personnage ; Annett Fritsch (Elvira) est tout à fait inexistante ; quand à Andrew Staples (Ottavio), on aimerait en dire autant, tant le timbre est insupportablement aigre (à ce point, on se dit que ce ne peut être qu’une méforme passagère ; je ne crois tout de même pas qu’Alexander Pereira nous aurait offert ça volontairement).

La relative bonne surprise, donc, horresco referens, c’est Eschenbach lui-même, et les Viennois avec lui. Les deux dernières fois que j’avais vu DG à Salzbourg, dans la peu reluisante production de Claus Guth, c’était sous de Billy (calamiteux) puis Nézet-Séguin (inexistant et chichiteux). Là, bien sûr, ça manque pas mal de théâtre, il y a des moments de creux, et on sent encore et toujours que les baroqueux c’est le mal, et c’est très lent ; mais tout de même, c’est tenu, il y a une logique et une cohérence dans cette lenteur. Mon souvenir précédent d’Eschenbach à l’opéra, c’était le Ring du Châtelet en 2005, un naufrage inégalable ; vous pouvez donc penser que je n’étais pas prêt à beaucoup de mansuétude, et pourtant voilà : non seulement je trouve qu’il aurait été très injuste qu’il reçoive les mêmes huées que l’année dernière pour Così, mais j’ai même trouvé qu’un peu plus de chaleur à son encontre lors des saluts n’aurait pas été volée. Ce n'est pas mon Mozart, mais c'est un Mozart digne et cohérent. On reverra Eschenbach faire une apparition côté concerts, pour une étrange et intéressante soirée.

Fierrabras

Le point commun avec Fierrabras, c’est l’orchestre, ces Viennois qui m’intéressent beaucoup moins que leurs concurrents directs, Berlinois, Radio Bavaroise ou Concertgebouw. Le choix de monter le dernier opéra achevé de Schubert avait été à l’origine une réponse au souhait de Nikolaus Harnoncourt de diriger cet opéra ; Harnoncourt ayant renoncé pour raisons d’âge, c’est Ingo Metzmacher, qui devait diriger le Dalbavie, qui a récupéré le bébé. J’aime beaucoup Metzmacher dans le répertoire moderne, j’avais quelques interrogations pour Schubert, mais elles se sont révélées infondées : un son très riche, varié, vivant ; un vrai professionnel efficace et compétent, ça vaut souvent mieux que les stars de la baguette à la mode, et au moins dans ce répertoire rare l’or
chestre ne peut pas se reposer sur ses habitudes.


Saurez-vous reconnaître les gentils des méchants ? Fierrabras vu par Peter Stein. Photo Salzburger Festspiele/Monika Ritterhaus
Là encore, hélas, les qualités du spectacle s’arrêtent à peu près là : je ne dirai pas du mal individuellement des chanteurs, puisque je n’ai vu qu’une générale (je n'aurais pas forcément payé pour cela, et puis le soir de la première, il y avait Pollini, qui est quand même un peu plus intéressant), mais vraiment, hors Dorothea Röschmann, il n’y a pas eu beaucoup de plaisir vocal. 
Côté mise en scène, c’est Peter Stein qui signe le pensum : Stein est un type extrêmement sympathique, qui après avoir pensé quand il était jeune que tous les vieux étaient des imbéciles, a découvert en devenant lui-même vieux que c’était les jeunes qui étaient des crétins. Il s’est donc réfugié dans un style rétro à souhait, qu’il vend comme le retour à une vraie et authentique tradition (qu'il a été le premier à dynamiter quand il était jeune) ; et en effet, il refait pour Fierrabras la Cenerentola de Jean-Pierre Ponnelle, millésime 1974, avec des décors constitués d’agrandissements de gravures (noir et blanc, donc). Dans le monde de Peter Stein, on peut encore sans scrupule peinturlurer le visage des (méchants) Maures en noir, au premier degré du racisme inconscient.
Par ailleurs, il s’est visiblement dispensé de répéter avec les chanteurs qui parviennent à des sommets de gaucherie, en particulier le jeune Benjamin Bernheim. C’est souvent maladroit (les lumières!!!), mais plus souvent encore drôle, involontairement ; le plus comique (réel succès autour de moi), c’est le cœur rouge qui apporte la seule touche de couleur  du spectacle, en guise d’image finale. La dernière fois que j'avais vu un spectacle de Peter Stein, c'était La Cruche cassée, au Berliner Ensemble : ce que je peux en dire, c'est qu'il y avait des poules (des vraies, vivantes), et qu'elles étaient les seules à déranger un peu la poussière. Là, hélas, ni poules, ni rats*...
Difficile de dire, dans ces conditions, ce qu'il faut penser de l’œuvre, à laquelle Alexander Pereira semble tenir beaucoup (cf. le DVD de Zurich avec Jonas Kaufmann) : le surtitrage est une invention diabolique, parce qu'on ne peut souvent s'empêcher de rire à la lecture détaillée du texte, et le livret ne crée jamais une situation dramatique intéressante ; on sent tout de même Schubert là-dessous, dans les chœurs, parfois dans les ensembles, assez peu dans les airs - concentrons-nous plutôt sur les dizaines de chefs-d’œuvre réels que nous a laissés Schubert !

*Allusion subtile à la mise en scène de Lohengrin à Bayreuth par Hans Neuenfels, dont je vous reparlerai.

vendredi 22 août 2014

1914, Musique française, musique allemande

J'interromps une seconde mes élucubrations salzbourgeoises pour vous parler un peu de ma lecture du jour : en plein centenaire du déclenchement de la première guerre mondiale, me voilà donc lisant sur Gallica le numéro de 1914 de la vénérable Revue Musicale. Je n'en suis pas encore très loin, mais c'est amusant de constater, sur ce début d'année, l'extrême vigueur de la germanophilie musicale française (pas toujours des collaborateurs de la revue, mais visiblement celle du public). On le voit dans la véritable obsession pour Beethoven, Schubert et les autres, par l'enthousiasme que suscitent les concerts dans les grandes villes du monde germanique (avec un peu de moquerie pour Munich, d'ailleurs, et son incapacité à se doter d'une salle de concert digne de la ville - c'est d'ailleurs toujours le cas en 2014 !), mais aussi avec l'événement majeur du début d'année que constitue la première française de Parsifal, tombé dans le domaine public trente ans après la mort de Wagner. J'imagine que le revirement suivant l'entrée en guerre aura quelque chose de réjouissant.
Mais je tombe surtout sur cet article qui relate une exécution de la quatrième symphonie de Mahler, j'imagine la création française de cette œuvre :

"Dès la douzième mesure, par exemple, ça change, ça tourne définitivement au Caf"Conc' du Prater, avec le Damen-Orchester, les écharpes jaunes, la quête de la jolie flûtiste, au milieu des bruits de fourchettes, des odeurs de schnitzel panirt, des relents de veuves-joyeuses... et ça part en une enfilade de valses, viennoises, je veux bien, mais, à coup sûr, d'une terrible trivialité qui n'a plus rien du tout de schubertien."
"c'est un morceau pour Alhambras ou Moulins-rouges, mais pas pour salle de concerts symphoniques."
"Les trois autres pièces de la symphonie, aussi simplettes de forme que nulles de recherches harmoniques, ne viennent malheureusement pas relever le niveau musical donné par le premier mouvement..."
"Et partout, depuis le premier mouvement jusqu'au final, s'étale la plus parfaite, la plus complète vulgarité. Est-il possible qu'un compositeur puisse manquer à ce point de goût et de sens artistique, et ne semble point se douter que, quelque sujet qu'il traite, il doit avant tout choisir de beaux matériaux, s'il veut créer de la beauté? Mais Haydn, mais Beethoven, mais Schubert, viennois cependant d'origine ou d'adoption, ne sont jamais triviaux dans leurs peintures populaires ou paysannes, parce qu'ils laissent parler leurs âmes de poètes et ne cherchent point à faire de la photographie...
En quelle estime ne devons-nous pas tenir nos musiciens français d'avoir su se garer de cette tare de vulgarité qui paraît s'étendre actuellement sur la musique allemande !"

Mon pauvre, si tu savais... L'auteur de ces lignes immortelles, c'est naturellement Vincent d'Indy. Le dernier fragment, je trouve, est significatif. Ce goût, ce refus de la vulgarité, ce choix des beaux matériaux qui font les vraies beautés... Voilà bien pourquoi la postérité a recouvert les œuvres de d'Indy lui-même comme celles de beaucoup de ses contemporains français. Il n'y a rien de plus fatigant que les efforts que le public français subit avec patience, mais sans jamais rien de plus que de la politesse, depuis des décennies, cette réhabilitation de la "musique française" qui n'aura jamais lieu, fort heureusement. Je mets "musique française" entre guillemets, parce que bien sûr il ne s'agit certainement pas de faire une sorte d'anti-nationalisme qui serait forcément à peine moins idiot que le nationalisme du camp d'en face - mais quand on a Rameau, Berlioz ou Boulez, on a mieux à faire que de s'occuper des chantres du bon goût et des beaux matériaux que vante d'Indy !

PS: en continuant ma lecture, je tombe sur un autre fragment du même, relatif cette fois à une exécution en concert du Sacre du printemps, "un chef-d’œuvre selon les rites de la petit église moderniste. - Chef d’œuvre, non certes, il faut tout de même autre chose pour motiver ce titre, mais œuvre d'un très grand intérêt rythmique, sinon musical, et qui dénote chez son auteur un réel tempérament d'artiste. Nous attendons avec confiance le jour où M. Strawinsky ayant secoué le joug et s'étant libéré des dogmes de sa petite confrérie, nous donnera une œuvre d'émotion dans laquelle il osera laisser parler son coeur plus haut que son ingéniosité".
Une œuvre d'émotion, tiens, encore un concept esthétique d'une prodigieuse profondeur...

mercredi 20 août 2014

Salzbourg 2014 (1) - Généralités sur le programme lyrique


Ça y est, ou presque : la malheureuse « Ère Pereira » touche à son terme à Salzbourg, et même si rien n’indique que les deux prochaines années d’intérim seront beaucoup plus heureuses que les trois étés qu’il aura dirigés, cette fin précipitée est la moins mauvaise des solutions, et il n’est plus très utile de souligner à quel point sa nomination était une idée vouée à mal tourner dès son origine.
Ceci étant, cet été salzbourgeois aura été pour moi de très loin le meilleur de ce court règne, non pas tant grâce à une programmation sensiblement plus intelligente qu’en 2012 et 2013 que grâce à mes choix dans ce programme, et souvent plutôt dans les marges du programme que dans ce qui devait être les axes fondateurs du programme de Pereira. De manière caractéristique mais non surprenante, aucun des plus grands moments du festival n’est à mettre au compte de ce qui est pourtant censé être le joyau du festival, c’est-à-dire la programmation lyrique. Tout ce qui concerne l'opéra à Salzbourg n’est donc pas très positif, mais attendez la suite, c’est-à-dire les concerts.

Dalbavie, Charlotte Salomon, avec Marianne Crebassa (de face). Photo Salzburger Festspiele/Ruth Waltz


dimanche 13 juillet 2014

Journal anglais (1) - Mattila en Ariane

Comme c'est très long, je vous publie ça en deux fois, sinon vous n'irez pas jusqu'au bout !

7 juillet, Liverpool, Everyman
Dead Dog in a Suitcase (and other love songs)
Compagnie Kneehigh

La quasi-disparition en Angleterre du théâtre parlé est un phénomène qui mériterait certainement notre attention, ne serait-ce que pour éviter que ce fléau n'arrive un jour chez nous (déjà, la vogue récente à Paris des musicals est un mauvais signe). Le "nouvel" Everyman est visiblement le théâtre intello de Liverpool, fréquenté comme partout ailleurs par le troisième âge et les scolaires, dans un cadre très agréable, mais sa programmation n'a tout de même pas grand-chose à voir avec la Colline ou Bobigny. Dead Dog (etc.) est donc une sorte de musical sans le nom, avec trois phrases de dialogue parlé séparées par des songs, semble-t-il tirés de mélodies en vogue comme l'était il y a 250 ans ceux de la pièce dont le spectacle s'inspire, l'indémodable Beggar's opera. On retrouve toute la narration dudit, avec simplement un angle narratif supplémentaire qui semble pour le coup venir directement de Macbeth : Peachum n'est plus entrepreneur en mendicité ; son créneau, ce serait plutôt d'assassiner le maire pour prendre sa place (le chien dans une valise qui donne le titre du spectacle, c'est celui du maire, assassiné avec son maître).
Le résultat est diablement efficace, il faut bien le dire. Le professionnalisme du théâtre anglais n'est pas un vain mot, et s'il y a parfois un certain manque d'âme dans cette machinerie bien huilée, on ne peut s'empêcher de penser qu'un peu de ce professionnalisme ferait du bien au théâtre français, qui croit trop souvent "faire artistique" en se montrant le moins professionnel possible. On rit, on est ému, on a peur, sur commande, à volonté. Le public trépigne, et on ne peut pas totalement lui donner tort. La limite, c'est cette volonté d'en mettre plein les yeux, avec des effets de concert pop dans les éclairages ; c'est cette crainte mortelle du temps mort, qui impose que le moindre effet soit calculé : c'est un peu ce que j'avais ressenti aussi avec Le Maître et Marguerite de Simon McBurney (moins intéressant que celui-ci), sans parler de Katie Mitchell dont l'aspect violemment réactionnaire me rebute forcément. Dead Dog en France, ce serait le succès assuré, mais on me permettra de préférer toujours les grands artistes du théâtre continental, de Warlikowski à Ostermeier, de Perceval à Marthaler.

9 juillet, Liverpool, St George's Hall
Mozart, Così fan tutte
Nazan Fikret, Hamida Kristoffersen, Héloïse Mas, Alexander Sprague, Biagio Pizzuti, Francesco Paolo Vultaggio ; Liverpool Philharmonic Orchestra/Laurent Pillot ; mise en scène Bernard Rozet

Oui, bon, quand on est à Liverpool en juillet le choix de spectacles est forcément limité ; j'évite en général de voir les opéras de Mozart trop souvent pour éviter l'accoutumance, mais après tout le cadre inhabituel de cette production pour jeunes chanteurs (hélas avec coupures, et sans chœur) méritait peut-être une exception. Cette production avait lieu dans un lieu assez inhabituel, le Concert Hall néoclassique construit dans les années 1850 au sein de cet étrange complexe qu'est le St George's Hall. L'espace scénique est limité, mais il est assez habilement utilisé pour une mise en place qui ne laissera pas nécessairement un grand souvenir, mais qui est beaucoup mieux que ce à quoi je m'attendais, ce qui est déjà un bon point (l'idée de modifier la donnée de départ en faisant que Fiordiligi aime déjà Ferrando et Dorabella Guglielmo est un moins bon point, mais on n'y fait à vrai dire moins attention). Mais l'essentiel, c'étaient les chanteurs, donc : je ne suis pas un grand découvreur de jeunes chanteurs et je ne sais pas trop prévoir les futures grandes carrières (je n'ai jamais compris comment certains mélomanes s'enthousiasment pour les concours et leurs lauréats, d'ailleurs), mais du moins j'ai trouvé l'ensemble très digne, avec un peu moins d'enthousiasme pour les hommes comme souvent un peu raides, et un peu plus pour Dorabella (Hamida Kristoffersen, donc) et Despina (Héloïse Mas).

10 juillet, Londres, Royal Opera
Strauss, Ariadne auf Naxos
Ruxandra Donose, Thomas Allen, Ed Lyon ; Karita Mattila, Roberto Saccà, Jane Archibald ; Antonio Pappano ; mise en scène Christoph Loy

Ariane à Naxos, c'est un peu la même chose : j'ai tellement vu cet opéra que je n'y vais qu'à condition que je puisse raisonnablement penser que ça en vaut la peine. Ce soir, c'était naturellement Karita Mattila qui suscitait mon attention, dans la production de Christoph Loy qui avait défrayé la chronique avec une affaire de "little black dress" qui avait occasionné (?) le renvoi de Deborah Voigt, décidément incapable de rentrer dans le costume prévu pour le rôle-titre (ladite "little black dress" n'a semble-t-il pas survécu, d'ailleurs, puisque Mattila est vêtue de manière beaucoup plus couvrante que ce qu'avait souhaité Loy).
Lorsque je vais voir un opéra sur une petite scène, mes attentes ne sont pas les mêmes que pour une grande scène, et il ne me paraît pas illégitime d'avoir à l'égard d'une maison comme le Royal Opera de hautes exigences. Disons-le tout de suite, Roberto Saccà reste en Bacchus nettement en-deçà de mes attentes, comme il l'était déjà dans les Maîtres-Chanteurs salzbourgeois (où il s'est d'ailleurs fait huer, je crois, à toutes les représentations) ; quand on a eu la chance d'entendre Kaufmann dans ce rôle, on a du mal à retomber sur terre avec ce chant prosaïque, sans élan et sans style. Autre performance qu'on ne devrait pas entendre dans une pareille maison : Ruxandra Donose (Compositeur), qui patauge dans son texte et dans ses notes avec un certain allant, mais le personnage en perd tout son charme juvénile ; c'est vraiment le Compositeur le plus moche que j'ai jamais entendu sur scène.
Heureusement, le reste est mieux. Comme souvent, les petits rôles s'en sortent plutôt bien, notamment l'inusable Thomas Allen en Maître de Musique, ou Markus Werba qui est abonné à Harlekin. Plus intéressante encore, la Zerbinetta de Jane Archibald est vraiment la meilleure de la soirée. Bizarrement, comme je l'avais vue à Munich dans une production créée par Diana Damrau, je m'attendais à entendre la voix de cette dernière, qui aura été en début de carrière une des plus belles promesses qui soient avant de devenir, pour moi, une des plus grandes déceptions (avec Petra Lang, peut-être). Heureusement, j'ai vite été détrompé : Archibald a une voix infiniment plus libre, plus expressive que Damrau ; et si on n'en est pas au degré absolu de maestria de la Dessay des grandes années, c'est vraiment très séduisant.
Mais l'élément-clef de la soirée, naturellement, c'était Karita Mattila pour ses débuts tardifs en Ariane. J'avais été déçu par sa Jenufa à Munich (on parle d'une des plus grandes chanteuses du monde, là, on peut avoir des attentes stratosphériques), son Ariane me convainc beaucoup plus. Le passage du temps est encore et toujours là, qui se voit par un manque de précision qui nuit notamment à la diction et oblige parfois à des détimbrages peu agréables, mais il y a vraiment une force expressive exceptionnelle dans cette voix si lumineuse et si chaleureuse en même temps. Quel dommage que cette Ariane ne soit pas venue un peu plus tôt, à la place de cette grosse erreur qu'aura été sa Tosca ! Mais quelle chance d'avoir pu l'entendre à Londres plutôt que de l'entendre se perdre la saison prochaine sur la scène de Bastille !
Reste à parler de la production et du chef. J'aurais un peu le même constat : joliment fait, globalement efficace, mais finalement superficiel et pas très personnel. Je n'ai jamais eu beaucoup d'estime pour Christoph Loy, mais c'est à peu près tenu à défaut d'être stimulant (et quelle sottise que cet entracte de 40 minutes qui casse tout !!!) ; à l'inverse, Pappano dont on fait un peu vite un immense chef d'opéra ne m'a pas paru très à l'aise dans cette partition : c'est professionnel et bien meilleur que le naufrage de Philippe Jordan à Bastille, mais il y a un côté très littéral et scolaire qui ne parvient pas vraiment à rendre compte de la singularité hybride de cette œuvre où le sublime n'a de place qu'à proximité immédiate du comique.
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